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mardi 8 mars 2011

Culture | PORTRAIT DE LA CREATRICE LAETITIA EWAGNIGNON



Pour cette créatrice de bijoux engagée, enfiler des perles est un acte militant.

«Qu'est ce qui justifie cette interview? Pourquoi m'avez vous choisie, pourquoi souhaitez vous me rencontrer?» Modestie presque agaçante de l' artiste qui ne démérite pourtant pas. 

L' Afrique autour du cou
Cette béninoise amoureuse de l' Afrique, vit en France par intermittence. Dakar, Lomé, Cotonou, Shanghai, Francfort, Ouagadougou,etc. Lætitia sillonne le monde pour trouver les pièces qui formeront ses œuvres. Elle porte un collier composé de plusieurs rangs de perles semi précieuses orné d'un pendentif sculpté en ébène. Fruit de son imagination et produit de son savoir faire. Lætitia vit de son talent depuis maintenant 13 ans. 

Opulence africaine, cheveux crépus, aucune ride. A 50 ans, et pas un cheveux blanc au compteur, la jeune femme est à un tournant important de sa vie. Elle confie vouloir quitter la France pour s'installer comme elle le dit «au cœur de son inspiration». En Afrique. Là bas, elle se sent épanouie.«J'aime l'atmosphère qui règne en Afrique. Le manque de structuration qui existe là-bas m'aide à réaliser plus facilement mes idées et à les concrétiser.». Sans mettre un nom sur le concept Lætitia pratique depuis longtemps ce que nous appelons désormais, le commerce équitable. Bien qu'étant en occident, elle travaille avec des artisans d' Afrique de l'ouest, qui sculptent ce que l'esprit prolifique de Lætitia imagine. Dans ses  carnets, elle immortalise ses flash, ses idées nouvelles, ses projets. Dans le métro, en voiture, dans son lit, assise dans son atelier, les idées ne préviennent pas.  C'est pourquoi l'artiste trimballe ses carnets partout avec elle. Son atelier parlons-en! Depuis qu'elle n' a plus sa boutique dans le onzième arrondissement de Paris, Lætitia a transformé la table à manger de son séjour en établi d'artiste. A la place des couverts on trouve des pinces en tout genre. Les jolis vases sont remplis de perles. Et les bobines de cuirs remplacent les rouleaux d'essuie tout!  

L'art de recevoir, Lætitia le pratique avec brio et pourtant elle est loin d'être une femme d'intérieur. Être créatrice, c'est un travail à plein temps pour elle. Lorsqu'elle évoque sa vie familiale, on perçoit un peu d' amertume dans la voix de cette mère de deux enfants. «Cette activité exige de moi que je me déplace très souvent. Mes absences répétées ne sont pas toujours acceptées même si ce sont pour les besoins du travail. Néanmoins je suis soutenue». «La Globe- trotteuse» c'est ainsi que Martine, son ancienne attachée de presse l'a baptisée. Lætitia est une de ses femmes indépendantes qui se bat pour plusieurs choses à la fois. Elle se bat pour offrir un héritage à ses deux filles. Elle se bat pour obtenir le soutient des banques qui ne croient pas en ses projets. Elle se bat pour faire évoluer l'art africain et le faire reconnaître à travers le monde.

Car Lætitia enfile des perles et pas seulement pour passer le temps! «Œuvrer pour que l 'art africain en général et les bijoux africains en particulier soient reconnus comme contemporains et modernes» est le but de cette diplômée en secrétariat. Lætitia est une femme convaincue et engagée. Et elle a choisi son camp. «Ma bataille est de faire en sorte que l'Afrique ne rentre pas dans la mondialisation en se délestant de son patrimoine, je réhabilite l' art des perles. Car j'ai pris conscience qu'au même titre que l'art ou la peinture les perles avaient le pouvoir de véhiculer une tradition africaine.» Ennoblir la matière première dont regorge ce continent,  lui donner forme en l' intégrant à ses créations et les commercialiser. En se lançant dans la création, elle s'est donnée cette mission. 

Ainsi, en 1998  Lætitia créer son entreprise Êkâbô Design et ouvre sa première boutique dans la rue de Douai à paris. «Êkâbô Design a su se faire une place sur le marché de la création de bijoux africain au plan international. Aujourd'hui on retrouve mes bijoux, en Espagne, en Guyane, aux États-Unis, ou encore au Bénin. Je ne sais pas si c'est une réussite mais c'est une satisfaction pour moi.» Même si Lætitia a relevé le défi de faire porter ses créations à travers le monde, elle estime que sa réussite n'est que mitigée. Elle souhaite, qu'avant tous ce soient les africains qui consomment «Made in Africa.» 

Du coup la « Globe-trotteuse » prépare son installation au Togo, pays de naissance de sa mère. A partir de là, elle compte distribuer ses produits sur la côte ouest africaine. Et à long terme, sur tout le continent. La femme assez pudique qu'elle est ne nous dira pas si ce sont pour des raisons sentimentales qu'elle a choisit le Togo! En tous cas, elle a révélé que c'est sa mère qui lui a donné le goût des perles dès sa plus tendre enfance. Bien que n'étant pas créatrice, Grand mère Paula portait, manipulait et vendait des perles. Et celle que l' on surnommait Dovi, dans la maison familiale de Cotonou, était très attirée par ses objets. Pourtant en Afrique, l'or a plus de succès auprès des femmes que les perles en terre cuite, en pâte de verre ou en graine d 'arbre. Mais c'est la voie que la petite Dovi a choisie.

A 20 ans elle fait des allers-retours entre Abidjan et Cotonou pour revendre ce qu'elle a trouvé en chinant ça et là. 10 ans après, elle dégotte les créations africaines les plus originales qu'elle vend à ses amies, ou qu'elle garde pour sa déco intérieure. Avant de se lancer elle même dans la création, en 1995. Depuis, elle a été récompensée pour son travail par des prix lors des salons professionnels internationaux auxquels elle participe. Plusieurs créateurs, dont Jean Paul Gautier lui ont proposé de travailler pour eux, en tant que designer, ou acheteuse de matière première. Le Nouvel Obs, A nous Paris, Marie Claire ont écrit sur elle.
Ses enfants vous le diront «cette femme c'est un mélange de l'écrivain Amadou Hampaté Bah et de Coco Chanel ». Un concentré de créativité par amour de l'Afrique.

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